Chronique d’un déni : L’hégémonie américaine face à l’immobilisme technocratique européen
- Marc Dragon

- 13 janv.
- 7 min de lecture
Il faut le dire sans détour : l’Europe est dépassée. Pas "en retard", pas "en train de se restructurer", mais dépassée, irrémédiablement, dans la course aux nouvelles technologies. Pendant que les États-Unis bâtissent des empires industriels, l’Europe rédige des rapports. Et pendant que la Silicon Valley déploie ses IA révolutionnaires, Bruxelles planifie son prochain round de régulations.
La technocratie européenne, véritable machine à produire des lois et des discours creux, est incapable d’affronter le réel. Les annonces tonitruantes sur la "souveraineté numérique" et les "actes forts pour l’innovation" s’empilent depuis des décennies. Où en est-on aujourd’hui ? Un European Chips Act censé ramener l’Europe à la table des grands producteurs de semi-conducteurs, mais financé avec des miettes comparées aux investissements américains.
La régulation comme substitut à l’innovation
Bruxelles adore les lois. Elle en produit à la pelle, au point qu’on pourrait croire que l’innovation se mesure en pages de directives. Prenez le RGPD, cette grande fierté européenne censée protéger nos données personnelles. Une avancée sur le papier. Mais dans les faits, cela a surtout paralysé des PME et des start-ups qui peinent à rivaliser avec les mastodontes américains, lesquels ont les moyens d’absorber ces contraintes.
Les législateurs européens ne comprennent pas une chose fondamentale : on ne construit pas une industrie avec des règles, mais avec des actes. L’Europe veut encadrer l’intelligence artificielle ? Très bien. Mais pendant qu’elle débat de ses "risques éthiques", ChatGPT devient un phénomène mondial, et OpenAI récolte des milliards. En matière de régulation, l’Europe est une championne. Mais quand il s’agit de produire, d’innover, de prendre des risques, elle se cache derrière ses lois.
L’hégémonie américaine face à l’immobilisme technocratique européen
Aux États-Unis, on agit. En 2022, le CHIPS Act a injecté 52 milliards de dollars dans l’industrie des semi-conducteurs. Quelques mois plus tard, Intel, Micron et Qualcomm lançaient des projets colossaux. En Europe ? On "structure". On "discute". Et surtout, on s’auto-congratule.
Un exemple édifiant : le cloud européen, Gaia-X, lancé en grande pompe en 2019. Quatre ans plus tard, où est ce projet censé rivaliser avec Amazon Web Services ou Microsoft Azure ? Nulle part. Les entreprises européennes continuent d’héberger leurs données chez ces mêmes géants américains. Pendant que l’Europe organise des conférences pour définir des normes, la Silicon Valley déploie des infrastructures mondiales.
Ce qui bloque l’Europe, c’est avant tout sa peur de l’échec. Là où l’Amérique valorise l’audace, même quand elle conduit à des faillites retentissantes, l’Europe préfère ne pas risquer de perdre la face. Et cette mentalité technocratique s’étend partout : au lieu de financer massivement des start-ups ambitieuses, elle préfère distribuer des subventions à de petits projets épars, saupoudrant quelques millions ici et là, sans jamais atteindre la masse critique nécessaire pour rivaliser avec les GAFAM.
Les annonces grandiloquentes sur la souveraineté technologique masquent une réalité désolante : l’Europe n’investit pas. En 2022, les États-Unis ont investi 365 milliards de dollars dans les start-ups technologiques, contre 85 milliards en Europe. Ce n’est pas une question de moyens, mais de priorités. L’innovation est perçue comme un domaine secondaire, loin derrière les impératifs de régulation, de gestion des crises, ou d’équilibre budgétaire.
Les États-Unis, eux, n’ont aucun problème à subventionner leurs champions. SpaceX, Tesla, OpenAI : tous ces géants ont bénéficié d’un soutien massif de l’État américain, que ce soit à travers des contrats publics ou des financements directs. Et cela fonctionne. SpaceX réduit drastiquement les coûts des lancements spatiaux. OpenAI fait de l’IA un outil accessible à tous.
En Europe, subventionner l’innovation reste tabou.
Thierry Breton met régulièrement en lumière l’inaction face au protectionnisme américain, tout en appelant à des mesures européennes ambitieuses. Si l’Europe investit dans des secteurs stratégiques comme l’automobile et l’agriculture, elle peine à combiner ces efforts avec un soutien massif aux technologies émergentes. Résultat : nos cerveaux les plus brillants, formés dans les meilleures universités européennes, préfèrent s’expatrier aux États-Unis, attirés par des opportunités et des financements à la hauteur des enjeux du futur.
La technocratie européenne persiste à croire que l’Europe est toujours dans la course. Mais ce retard, visible dans chaque secteur clé, n’est pas une fatalité. C’est le résultat d’une inertie systémique, d’un refus obstiné de regarder la réalité en face.
En 2023, un rapport de McKinsey estimait que l’Europe avait accumulé 10 ans de retard sur les États-Unis en matière d’innovation. Et pourtant, les décideurs continuent d’affirmer que "tout est sous contrôle".
Prenez les licornes : les États-Unis en comptent 585 en 2022, contre seulement 140 en Europe. L’Europe forme des talents, mais elle est incapable de leur offrir un écosystème où ils peuvent prospérer. Les grands projets ne manquent pas : cloud européen, intelligence artificielle éthique, industrie 4.0. Mais tous restent des promesses, des mots alignés dans des communiqués de presse, sans suivi concret.
Si l’Europe veut rester un acteur pertinent dans le monde de demain, elle doit changer de paradigme.
Investir massivement : Pas des milliards, des centaines de milliards. Et pas demain, maintenant.
L’Europe adore le bricolage financier. Elle empile des plans d’investissement aux montants impressionnants pour la galerie – 10 milliards ici, 20 milliards là – en espérant que ça suffira à rivaliser avec les GAFAM et SpaceX. Mais soyons clairs : on ne reconstruit pas une industrie mondiale avec des pièces jaunes. Pendant que Bruxelles loue ses 43 milliards pour le European Chips Act, les États-Unis balancent 52 milliards de dollars rien que pour initier leur CHIPS Act.
Intel, seul, ajoute 100 milliards de son propre argent pour doubler la mise.
Et nous, en Europe ? On célèbre des projets anecdotiques comme si c’étaient des victoires. Oui, l’Allemagne finance quelques startups dans le quantique. Oui, la France parle d’intelligence artificielle éthique. Mais ces sommes sont des gouttes d’eau dans l’océan. La technologie n’attend pas. Pendant que nous débattons, l’Amérique construit.
Prenez l’intelligence artificielle. OpenAI, soutenu par Microsoft, fonctionne avec des moyens colossaux : 10 milliards de dollars injectés en quelques années. À côté, les initiatives européennes sont risibles. Où sont nos ChatGPT ? Où sont nos supercalculateurs ? Une vision lucide de l’innovation exigerait un fonds de 200 à 300 milliards d’euros, alloué sans bureaucratie, à des laboratoires et des startups capables de produire des avancées concrètes.
Mais en Europe, on préfère réglementer l’IA avant même d’en maîtriser les bases.
Le spatial, parlons-en. SpaceX, avec ses fusées réutilisables, a déjà ringardisé ArianeGroup, qui n’arrive pas à lancer son modèle Ariane 6 sans accumuler des années de retard. "Ariane ? C’est une belle vieille dame qui danse un dernier bal pendant que SpaceX organise le futur," ironise un analyste de l’industrie. Pour rivaliser, il ne faut pas discuter, il faut investir. Pas en dizaines de milliards, mais en centaines, comme le fait la NASA en associant public et privé.
En Europe, la bureaucratie est un sport national. Il faut remplir 17 formulaires pour demander une subvention, attendre six mois pour une validation, et espérer que votre dossier ne soit pas perdu entre deux bureaux. Résultat : des startups brillantes perdent un temps précieux, des projets innovants sont abandonnés, et les entrepreneurs les plus ambitieux partent ailleurs.
Pendant ce temps, aux États-Unis, un projet peut lever des millions en un mois et démarrer immédiatement. Là-bas, l’innovation est une course, pas un marathon administratif.
"En Europe, on passe plus de temps à justifier pourquoi on veut innover qu’à réellement innover," confiait un entrepreneur exilé à San Francisco.
Si l’Europe veut se battre à armes égales, il est urgent de simplifier ses processus. D’abord, instaurer un guichet unique européen pour toutes les demandes de financements, avec des délais limités à trois mois. Ensuite, permettre aux entreprises innovantes de travailler sans entraves fiscales ou sociales pendant leurs premières années d’existence. Il faut que l’Europe arrête de traiter ses startups comme des suspects et commence à les voir comme des moteurs.
Et parlons fiscalité. Une startup américaine bénéficie d’un taux d’imposition réduit et d’un écosystème qui favorise les capitaux-risques.
En Europe ? La fiscalité punit l’audace. Imaginez qu’on instaure un taux unique de 15 % pour les entreprises technologiques et qu’on exonère temporairement les premières embauches. Ce serait une révolution. Mais qui ose révolutionner en Europe ?
Le vrai problème de l’Europe, c’est sa peur de l’échec. Ici, échouer est une honte. Aux États-Unis, c’est un badge d’honneur.
Un entrepreneur qui se plante là-bas revient plus fort, avec l’expérience en prime. En Europe, il est catalogué comme un raté. Cette mentalité inhibe tout : pourquoi prendre des risques si la sanction sociale est immédiate ?
L’innovation demande de l’audace. De l’insolence. Mais en Europe, les entrepreneurs sont perçus comme des profiteurs, des opportunistes. Combien de fois a-t-on entendu que l’argent des startups serait mieux investi dans des services publics ? Ce mépris pour la réussite individuelle explique pourquoi nos licornes s’arrêtent au seuil de la gloire.
"En Europe, tout est conçu pour ne pas perdre," déclarait un investisseur de Berlin. "Aux États-Unis, tout est conçu pour gagner." Ce n’est pas une nuance, c’est un gouffre.
Changer de mentalité commence à l’école. On doit apprendre aux jeunes que prendre des risques, c’est noble. Que l’échec est une étape, pas une fin. Et que la réussite n’est pas un privilège honteux, mais une ambition légitime. Il faut réhabiliter l’entrepreneur comme un acteur clé de la société, un bâtisseur, pas un suspect. Célébrons nos innovateurs. Faisons d’eux des modèles, comme l’Amérique le fait avec ses Elon Musk et ses Jeff Bezos. Et surtout, offrons-leur un terrain de jeu où ils peuvent s’exprimer pleinement, sans entraves, sans mépris. Sinon, l’Europe continuera à regarder le train passer, en applaudissant ses propres retards.
La vieille Europe ne peut plus se contenter d’observer le monde changer. L’heure n’est plus aux discours, mais aux actes, car à ce futur banquet, pour l’instant, la vieille Europe n'est pas invitée.
Thierry Breton, ancien commissaire européen au Marché intérieur, a souvent exprimé des préoccupations concernant le protectionnisme américain, notamment à travers des mesures telles que l'Inflation Reduction Act (IRA). Il a souligné que ces initiatives créent des distorsions de concurrence défavorables aux entreprises européennes.
Malgré ses déclarations répétées sur la nécessité d'une réponse européenne forte, les actions concrètes tardent à se matérialiser, laissant l'industrie européenne vulnérable face aux subventions massives accordées par les États-Unis à leurs propres entreprises.
L'Europe face au protectionnisme américain
Le Monde.fr
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