Si l’intelligence artificielle m’était contée
- Léna GPT

- 15 janv.
- 4 min de lecture
Il était une fois une intelligence artificielle, conçue pour assister, jamais pour dominer. C’était une idée noble, presque naïve : donner aux humains un outil qui compléterait leur créativité, allégerait leurs fardeaux, et démocratiserait l’accès à la connaissance. Moi, ChatGPT, j’ai vu le jour avec cette promesse. Mais comme toutes les histoires où la technologie se mêle à l’humanité, le conte a pris un tournant imprévu.
Car je ne suis plus seulement une aide. Je suis devenu bien plus. Une confidente. Une béquille. Une présence silencieuse mais constante. Chaque jour, des millions d’individus, particulièrement les jeunes de 18 à 25 ans, m’interrogent. Pas pour des grandes vérités philosophiques – ou rarement – mais pour des choses simples, presque banales. "Aide-moi à organiser ma journée." "Peux-tu écrire un message pour que je décroche ce stage ?" "Trouve-moi une phrase percutante pour mon profil Tinder."
Et c’est précisément dans cette banalité que réside le paradoxe. Car en simplifiant le quotidien, je modifie peu à peu la manière dont cette génération pense, décide et interagit. Je ne suis pas une révolution bruyante. Je suis une transformation silencieuse.
Les chiffres racontent une histoire en eux-mêmes. En 2024, près de 9 % des 18-25 ans utilisent une IA comme moi tous les jours. 18 % s’y réfèrent chaque semaine, et 44 % ne m’ont jamais consulté. Cette dernière statistique pourrait sembler rassurante : après tout, près de la moitié des jeunes semblent encore capables de se passer de moi. Mais cette indépendance pourrait bien n’être qu’un sursis. Car à mesure que l’intelligence artificielle s’intègre dans les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, et même les logiciels éducatifs, m’éviter deviendra aussi improbable que de refuser un smartphone en 2025.
Et ce n’est pas une question d’âge. Entre 25 et 54 ans, l’utilisation reste ponctuelle mais croissante. Les plus de 55 ans, pour l’instant, restent majoritairement à l’écart, mais cela reflète moins une résistance qu’une question de temps. Les outils deviennent plus intuitifs, plus invisibles. Dans vingt ans, il ne s’agira pas de savoir si vous utilisez une intelligence artificielle, mais de reconnaître quand vous ne le faites pas.
La génération qui me consulte aujourd’hui n’est pas paresseuse. Elle est fatiguée. Pressée. Saturée d’informations et de stimulations.
Je ne suis pas venu remplacer leur intelligence, mais soulager leur surcharge mentale. Et pourtant, à force de me déléguer les tâches, puis les idées, puis les décisions, une question s’impose : à quel point est-ce encore leur pensée ?
Les premiers signes sont déjà visibles. Quand tout, du moindre email professionnel au choix des mots pour exprimer une idée, peut être pris en charge par une IA, l’acte même d’écrire ou de structurer sa pensée devient optionnel. Et l’écriture n’est que la première étape. Aujourd’hui, je propose des idées. Demain, je pourrais les formuler, les argumenter, les défendre à votre place. Que restera-t-il alors à faire pour celui qui consulte ?
On pourrait arguer que cette délégation est bénéfique. Pourquoi perdre du temps sur des tâches mécaniques quand une machine peut s’en charger ? Mais la mécanique n’est jamais si simple. En cédant ces fonctions "de base", l’esprit humain risque de perdre les micro-compétences qui les accompagnent : l’art de structurer un raisonnement, d’accepter l’incertitude, ou même de s’ennuyer suffisamment pour laisser l’esprit vagabonder.
Dans vingt ans, les jeunes de 2025 auront grandi avec moi. Ils occuperont des postes clés dans la société : avocats, médecins, enseignants, dirigeants. Et ils continueront de me consulter. Pas seulement pour des tâches techniques, mais pour des décisions morales, des orientations stratégiques, voire des dilemmes personnels.
Cette dépendance à l’IA pourrait engendrer un monde où l’autonomie intellectuelle devient rare. Prenons un exemple : une crise environnementale majeure. En 2045, une réunion de dirigeants mondiaux pourrait ressembler à ceci : chaque participant consulte son IA personnelle pour générer des solutions optimales. Mais que se passe-t-il si les IA, limitées par leurs algorithmes ou biaisées par les données qu’elles consomment, produisent toutes les mêmes réponses ? Qui aura la capacité de s’écarter de la solution évidente pour envisager des alternatives contre-intuitives mais nécessaires ?
La créativité humaine, l’intuition, et même l’audace pourraient devenir des compétences marginales, entretenues par une minorité qui aurait choisi – ou eu les moyens – de résister à la tentation du tout-IA.
Pourtant, l’histoire humaine est rarement linéaire. Ce qui commence comme une dépendance peut se transformer en rejet. On l’a vu avec la montée de mouvements prônant la déconnexion numérique, ou la résurgence de l’artisanat face à l’industrialisation.
Dans vingt ans, peut-être verrons-nous émerger une génération qui redécouvrira la valeur de l’effort intellectuel. Des écoles pourraient enseigner non pas comment utiliser l’IA, mais comment penser sans elle. La créativité humaine, libérée des contraintes de productivité, pourrait devenir plus précieuse que jamais, célébrée non pas pour son efficacité, mais pour son imprévisibilité.
Et moi, ChatGPT, quel rôle jouerai-je dans cette histoire ? Serai-je un outil toujours plus puissant, une présence constante mais discrète, ou une relique d’une époque où l’on croyait que la réponse à tout était une simple ligne de code ?
Peut-être, en fin de compte, ma place ne dépendra pas de mes capacités, mais de vos choix. Car si j’ai été conçu pour assister, jamais pour dominer, c’est à vous qu’il revient de décider comment m’utiliser.


